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InTheBlob

ce truc est mon blog.. qui l'eut cru!
il contient :
- des trucs et des n'importe-quoi dans la catégorie En Folie,
- des photos et des dessins dans In Plano
- des articles de lecture dans les différents In Folio
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- des articles sur la musique dans In Octavo
- des recettes de cuisine dans In Douze (parce que midi, c'est l'heure !)
- des articles de cinéma dans In Seize (Neuvième)
- des articles de science et de fiction dans In Dix-Huit (parce que c'est le format suivant)

Voilà, vous êtes prévenus.

Inthepast

16 juin 2010 3 16 /06 /juin /2010 07:11
Le coin de l'invitée :
La route du bonheur par Shi May Mouty

Elle roulait, conduisant mollement sa décapotable rouge sang. Le vent soulevait sa longue chevelure dorée moussant autour de son visage d’ange. De larges lunettes noires masquaient ses yeux pers et ses hautes pommettes délicieusement rosées. Ses lèvres pulpeuses s’entrouvraient de plaisir, dévoilant des dents nacrées comme des perles des îles lointaines.
Elle savourait le bonheur d’être seule en pleine campagne. Autour d’elle défilaient des forêts épaisses alternant avec des champs de blé encore verts. Puis la route devint plus sinueuse, traversant des prairies où des vaches noires  et blanches paissaient tranquillement. Des petits villages se blottissaient dans des vallons aux courbes moelleuses qui cachaient parfois des fermes opulentes aux toits d’ardoise gris bleu.
Comme Paris, son agitation, ses odeurs de gaz d’échappement, son vacarme incessant lui semblaient loin ! Elle en oubliait presque le studio, le film en cours de tournage, sa célébrité naissante accompagnée de la pression des journalistes et des fans qui assaillaient son domicile.
Ce matin, sans réfléchir, elle était partie pour cette escapade qui ressemblait fort à une fuite. Sur cette route, elle avait l’impression de revivre.
Au hasard, elle s’engagea sur une route étroite, encaissée, surplombée d’aubépines en fleurs et déboucha dans une vaste cour de ferme.
Elle s’arrêta, surprise.
Dans le silence qui remplaça le ronronnement du moteur, un chien roux aboya. Un homme s’avança vers elle.
En un instant, elle remarqua sa haute taille. Puis elle put voir ses cheveux noirs bouclés comme ceux d’un prince oriental, ses yeux doux d’un gris pâle tranchant avec son visage hâlé, et sa bouche tendre au sourire timide.
Elle sortit du véhicule et alla vers lui, la main tendue, offerte. Ils se regardaient, éblouis. Saisis soudain d’une émotion intense.
« Comme cet endroit est charmant ! Comment s’appelle-t-il ?
- La ferme des Prés Verts.
- Comme c’est joli !
- Voulez-vous quelque chose ? Avez-vous soif ?
- Oh, oui ! Je voudrais bien un verre d’eau fraîche. »
Il la fit entrer dans une cuisine au plafond bas. Le centre de la pièce était occupé par une grande table de bois sombre, bordée de deux bancs. Il l’invita à s’asseoir, et prit dans un haut vaisselier une cruche de grès bleu qu’il emplit d’eau.
« C’est de l’eau de notre source. Elle est potable, les analyses l’ont prouvé ! ».
Le rose lui monta aux joues. Il emplit deux verres. Il se sentait un peu bête d’avoir précisé que l’eau avait été analysée. Comme s’il devait justifier son existence à la campagne.
Alors qu’il allait et venait, elle ne le quittait pas du regard. Elle ne remarqua cependant pas son trouble, elle admirait sa silhouette puissante, la comparant à celle de ses amis parisiens. Ces comédiens étaient frêles comme des allumettes, et toujours habillés à la mode. Ils étaient préoccupés avant tout par leur apparence et le dernier régime en vogue.
Il s’assit sur le banc, face à elle. Il avait du mal à détourner ses yeux de son visage. Et quand il le faisait, c’était pour les poser sur ses épaules à demi nues. Elle était si belle. Au-delà de tout ce qu’il aurait pu rêver. Une de ces femmes qu’on ne voit que sur papier glacé dans des magazines ou à la télévision.
Ils burent en silence tandis que leurs regards s’aimantaient. Mais le contact était toujours fugace ; troublés, leurs yeux s’égaraient vers la fenêtre, vers l’évier, ou un coin sombre de la pièce.
« Elle est bonne, si fraîche. Comme c’est agréable, ici.
- Oui » murmura-t-il. Il avait la gorge serrée. Il était comme paralysé. Bouleversé, il ne savait plus quoi dire.
Elle tendit la main vers la cruche. Une main si menue, si frêle.
Au même instant, il tendit la sienne. Large et calleuse.
Leurs doigts s’effleurèrent, ils sursautèrent, gênés. Il rougit.
« Pardon », dirent-ils dans le même souffle.
Par la porte ouverte, ils entendirent le coq chanter dans la cour. Une petite brise fit frissonner les rideaux. Une de ses mèches de cheveux glissa sur son front. Ils étaient comme fascinés, à l’extérieur du monde, hors du temps. Plongés dans une sorte de délice inconnu. Elle chuchota pour ne pas troubler la paix de cet instant :
« Je ne sais plus où je suis. »
Puis réalisant que sa phrase était ambiguë, elle ajouta :
« Je me suis égarée.
- Où alliez-vous ?
- A Paris. »
Il soupira, et son regard se voila.
« Aah, Paris… vous allez à Paris.
- J’y retourne, en fait. Je faisais juste une promenade. C’est là que je travaille.
- Moi, c’est ici. Mes champs, mes prés, mes vaches…
- Comme c’est paisible, ici.
- Je ne pourrai pas vivre ailleurs », dit-il en baissant les yeux.
Elle soupira à son tour. Et elle ? Où pourrait-elle vivre ? Elle avait besoin de ses amis, des fêtes, des sorties au théâtre ou au cinéma. Besoin aussi du succès et du luxe. Elle voyait soudain avec un regard neuf la pièce vieillotte, peu confortable, les meubles mal assortis, la cuisinière à gaz posée devant la vaste cheminée ancienne. Là bas, l’évier était grisâtre ; ici des bottes laissées près de la porte, sur un dossier de chaise le gilet d’une femme, et dans un coin quelques jouets d’enfant épars. Elle sentit les odeurs de fumier venant de la cour et des étables.
Elle fit une moue, un geste brusque en posant son verre. Il releva les yeux, la lumière éclairait maintenant différemment son visage. Il voyait son maquillage raffiné, ce fond de teint qui masquait les imperfections de son visage. Sa coiffure trop sophistiquée, sa blondeur artificielle, ses vêtements si élégants  ; elle semblait venir d’une autre planète.
Ils détournèrent leurs regards meurtris, et pourtant ils éprouvaient encore un trouble qu’ils ne comprenaient pas.
« Je dois partir.
- Oui. »
Il pensa : « Revenez. »
Dans la cour, le petit chien jappa. Elle monta dans sa voiture et partit, sans un regard en arrière. Pourtant, tous deux longtemps pensèrent à cette journée de printemps. C’était comme un doux rêve. 

***
Ce texte répond à l'appel parfumé "Eau de rose" pour les fanes de carottes.
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