Déprime à la mine
Par Shi May Mouty
- Quel froid ici. J’ai hâte de sortir, de voir le soleil.
- Arrêtes de rouspéter, j’en ai marre.
- Et toi ? pourquoi tu rigoles ?
- Allons, allons, du calme, travaillons, nous sommes en retard sur le planning.
- Travailler, toujours travailler. Quelle vie !
Un éternuement se fit entendre.
- Chantons pour nous donner du courage.
La barbe en bataille, le bonnet bien enfoncé, chantant à tue-tête, ils reprirent leur labeur. Pioche en main, ils cognaient énergétiquement sur la roche, détachant de gros blocs sombres.
L’un d’eux, calant ses bésicles sur son nez rond, inspectait et triais les roches. A la maigre lueur de la lampe à huile, un amas étincelait d’un éclat doré : de l’or.
Depuis des siècles ils exploitaient ce filon et avaient accumulé des richesses considérables, dissimulées dans de sombres cavernes secrètes.
S’ils travaillaient ainsi, sans prendre de jour de congés ni de RTT, c’était pour oublier le départ de leur muse, partie avec un bellâtre. Il était bien trop grand, bien trop beau, bien trop blond et son cheval bien trop blanc. Ils ne pouvaient pas effacer de leur esprit la vision de ces deux êtres amoureux, partant au crépuscule, enlacés, chevauchant un fier cheval blanc.
Vraiment, Blanche-Neige leur manquait trop. Depuis ce jour, ils étaient moroses, s’ennuyaient et se laissaient même aller. Leur maisonnette, malgré les remontrances de Prof, n’était plus entretenue correctement.
Grincheux était insupportable, grognant sans arrêt contre tous et tout. Joyeux partait se cacher au grenier tous les soirs pour pleurer. Simplet ne parlait plus de peur que l’on se moquât de lui.
Dormeur déprimait et ne faisait plus son lit. Fini l’édredon secoué tous les matins avant de se recoucher, fini les légères plumes blanches qui s’envolaient par la fenêtre. Il ne sortait plus du tout de son lit. Timide mettait ses mains devant ses yeux en permanence, ainsi il ne voyait plus rien ni personne et se croyait seul. Ainsi incapables de travailler, les nains avaient été contraints de les laisser à la chaumière.
A l’inverse, Atchoum, de plus en plus allergiques aux pollens de la forêt éternuant tellement qu’ils avaient jugé préférable qu’il reste dans la mine. Il n’en sortait qu’en hiver.
La journée de travail se terminant, ils se dirigèrent vers une galerie étroite de la mine. L’entrée de ce boyau était dissimulé derrière des blocs rocheux. Ils cheminèrent rapidement, en silence. Ils débouchèrent dans une vaste grotte d’où émanait une étrange lueur blafarde. Ils prirent des corbeilles tressées en écorce de saule et se penchèrent vers de grands plateaux. On pouvait voir sur ceux-ci se dresser des champignons blancs et grêles. Ils en cueillirent délicatement les chapeaux à la chair parfumées. Délaissèrent les pieds, plus fibreux.
Ce faisant, un sourire se dessina sur leurs lèvres. Même Grincheux sembla se détendre. Ils s’assirent en cercle et chacun avala l’un des chapeau qu’ils venaient de ramasser. Poussant des soupirs de satisfaction, ils attendirent en bavardant. Puis la béatitude envahit leur visage. Leurs yeux brillaient. Joyeux avait retrouvé son grand sourire des jours heureux. Dans ce caveau, des flash lumineux éclataient sur les cloisons, leurs neurones grésillaient et ils laissaient échapper des petits gloussements de rire.
Ils se mirent à chanter des mélodies venues de leurs ancêtres, des ballades qui accompagnaient autrefois les grandes festivités réunissant tous les nains de la région et même parfois d’autres venant de contrées lointaines. Ils chantaient faux, mais avec un bel enthousiasme.
Puis ils se levèrent et commencèrent à danser en tapant dans les mains, frappant le sol de leurs sabots, se donnant de grandes claques bruyantes sur les cuisses. Ils se prirent la main et tournèrent dans des rondes sautillantes.
Puis peu à peu, ils s’apaisèrent. Atchoum éternua. Grincheux râla contre Joyeux qui avait voulu le chatouiller. Prof donna l’ordre de rentrer à la maison. Il dut même le répéter à Simplet qui n’avait pas compris.
Ils quittèrent la grotte, suivant les sombres galeries. Souhaitèrent bonne nuit à Atchoum en le laissant près de son lit de camp. Puis ils regagnèrent la surface, et enfin leur maisonnette.
Prof partit à la recherche de Timide, caché dans un placard, puis organisa la soupe.
Plus tard, au moment de s’endormir, ils chuchotèrent :
- On s’est bien amusé.
- As tu vus quand Blanche-Neige et le Prince sont venus nous rejoindre pour la ronde des mineurs ?
- Je les ai vu à la ronde des bucherons, moi !
- Comme ils dansaient bien !
- Comme elle était belle !
- Comme il est toujours aussi désespérément beau…