Le coin de l'invitée :
Une quête infernale par Shi May Mouty
seizième épisode
Les démons de l’équipage, qui commençaient à bailler, sursautèrent. Certains eurent encore assez de présence d’esprit pour se précipiter et pour l’extraire de la gangue boueuse et putride qui le nappait, tel du chocolat sur des profiteroles, mais en moins appétissant. Ils constatèrent alors que Lucifer grouillait d’une multitude d’animalcules répugnants. La peau blafarde, les yeux ternes ; la gorge nouée, il hoquetait, toussait, rejetait de la boue par la bouche, les naseaux. Il en extirpa de ses oreilles dont les longs poils étaient tout collés. Son bouc s’égouttait sur sa poitrine, finissant d’effacer le sigle SM Lucifer Rex, déjà fort délavé et illisible.
Il leur fallut des seaux et des seaux d’eau claire et glacée pour le laver. Le plus difficile fut de faire disparaître l’odeur pestilentielle qui s’accrochait à ses vêtements. Après ce traitement, Lucifer faisait peine à voir. Sa cape n’était plus qu’une loque qui pendouillait en dégoulinant. Elle lui battait les fesses grotesquement. Sa combinaison moulante… moulait tout, et ce n’était pas joli à voir. Les nouveaux matériaux synthétiques n’étaient malheureusement pas de la qualité espérée.
Cependant il ne lui fallut que quelques minutes pour se reprendre. Enveloppé dans un vêtement autochtone que l’un des diables avait décroché d’une liane sur laquelle il était suspendu, il scruta d’un regard empli d’une fureur extrême les membres de l’équipage, mais rien ne lui permit d’étayer ses soupçons naissants. Razibuth ne laissa pas un instant transparaitre ses sentiments, et pourtant qu’est-ce qu’il était content ! « Le plus beau jour de ma vie », songea-t-il.
Les hommes verts, roses maintenant mais délivrés du sortilège, regagnèrent l’ombre salutaire de leur hutte. Les hommes serrèrent fort leurs femmes pour se redonner du courage (bien sûr, ils ont des femmes, sinon comment voulez vous qu’ils… le pollen c’est pour les fleurs). Ils étaient catastrophés. Travailler, se prosterner, travailler, se prosterner. Et s’ils ne travaillaient pas assez et ne se prosternaient pas assez, s’ils n’étaient pas assez rôtis par leur astre maintenant que son rayonnement les brûlait, ce pitre rouge les menaçait d’aller rôtir dans ce qu’il appelait l’Enfer… Horreurs ! Malheurs !
De retour dans le vaisseau spatial, Lucifer donna l’ordre de décoller immédiatement et de retourner sur Terre. Une fois arrivé, enfin sec, propre, délicatement parfumé à la lavande, assis dans son beau fauteuil recouvert de velours rouge, il put savourer à sa juste valeur sa vengeance sur les hommes verts. Il en oubliait même son bain de boue forcé. Mais surtout, il débordait d’orgueil. Désormais, il était l’égal de Dieu. Il en rêvait depuis toujours, depuis des temps éternels. Il commençait à réfléchir à une possible extension de son culte sur d’autres planètes.
Depuis ces événements, le serpent corail aux yeux d’or vit des jours heureux. Il songe à se marier et à avoir des enfants qui pourront jouer sans risque dans le feuillage vert émeraude des arbres, entre les frondes vert Nil des fougères et sur les coussins vert tendre des mousses.
Il observe les hommes roses de la planète chlorophylle qui travaillent, travaillent… et rougissent. Souvent il se félicite d’avoir donné un coup de pouce au destin lors de la première visite des étrangers rouges velus et cornus. Il se demande parfois pourquoi il a agi ainsi. Il n’en sait trop rien. Il se souvient juste d’une petite phrase incompréhensible qui s’était alors incrustée dans un recoin de son minuscule cerveau reptilien : « I aisse oui cane »…
Mais ceci est une autre histoire…
écrite pour les fanes de carottes