Princesse et petits pois
Episode 6
C’était un visage parfaitement normal, et beau, beau, beau à en tomber par terre. Il remarqua à peine dans cette pénombre qu’elle avait le nez un peu rougi par une irritation liée à une sinusite. Ca lui donnait un petit coté charmant…
Des étoiles dans les yeux, il la lâcha pour lui déclarer sa flamme immédiatement.
Elle le repoussa alors, lui disant qu’elle était hideuse, qu’il devait cesser de se moquer d’elle. Elle était vraiment très hideuse, car sinon pourquoi ses parents l’auraient-ils gardée hors de
vue des gens durant toutes ces années. Elle savait très bien qu’elle ne vivrait jamais le bonheur de vivre une belle histoire comme sa mère en avait eu une et comme elle lui en avait raconté tant
d’autres. Elle savait que jamais aucun bel homme ne viendrait la demander comme son père l’avait fait avec sa mère. Elle savait tout ça trop bien.
Et c’est dans les sanglots que se perdit sa dernière phrase, tandis que l’on entendait plus loin les parents qui tentaient de sortir de leur chambre.
Faisant abstraction de sa probable mort prochaine dès que le père aurait réussi à passer la porte, il raconta à la jeune fille combien elle était belle, combien elle l’avait conquis. Mais rien à
faire, elle ne cessait de répéter qu’il mentait.
Soudain, en grimaçant, elle porta vivement ses mains à son nez, et éternua fortement. C’est une poignée de petits pois qu’elle obtint alors dans ses mains. Petits pois, que dans un geste tout
naturel, elle alla déposer ensuite quelques mètres plus loin dans une coupe posée près de son lit.
Il la regarda légèrement éberlué pendant quelques secondes puis l’embrassa. Ne vous avais-je pas dit qu’il était un prince intelligent ? Il était prêt à la garder, elle, sa beauté, et même avec
des petits pois sortant du nez à chaque éternuement.
C’est ainsi que, la porte étant bien solide, les parents ne purent intervenir assez vite pour empêcher le prince d’expliquer à la belle qu’il était fort rare de voir des gens éternuer des petits
pois et que ses parents avaient voulu protéger cette rareté contre la bêtise humaine. Elle n’était en rien laide, il pouvait en témoigner.
Quand ils arrivèrent enfin, ce fut pour trouver la jeune fille pleurant sur l’épaule de son prince, conquise à son tour par la douceur de ce beau jeune homme. Le prince déclina alors ses titres
et demanda la main de leur fille « même avec les petits pois ».
Quelques jours plus tard, ils se marièrent, mais le prince dût accepter à son tour de rester enfermé dans le château.
Mais il ne tarda pas à découvrir que le père avait un passage secret pour se rendre au village, et jouer son rôle de pilier de taverne pour décourager les prétendants. Il l’accompagna parfois,
pour argumenter avec lui auprès des plus entêtés. Il faisait alors semblant de revenir d’une de ses tournées pour vendre des bibelots, et passaient une ou deux nuits dans son ancien logis avant
de repartir.
S’ils eurent des enfants, beaux ou non, s’ils vivent encore, nous ne le savons pas, mais il se raconte parfois à la taverne qu’une jeune fille attend derrière ces murs un courageux chevalier…
FIN