Le samouraï virtuel - Neal Stephanson
Le Samouraï Virtuel est un grand fourre-tout. Mais dans le sens positif du terme. Ce roman fourmille d’idées. Non content d’avoir transformé le monde réel des États-Unis, Neal Stephenson a
également développé un univers virtuel très complet, des personnages très originaux et une théorie mélangeant religion et informatique. Et le tout est rédigé avec un certain humour.
Avec tout ça, je vous préviens tout de suite, le résumé sera long. Vous avez 10 minutes devant vous pour le lire ?
Le roman met en scène une Amérique technologiquement très proche du moment présent. Mais la société, elle, a évolué par un capitalisme galopant et la désorganisation de l'État fédéral américain
vers une privatisation en masse.
Les Etats-Unis ont ainsi explosé en un grand nombre de franchises commerciales ou religieuses et en mini-Etats plus ou moins fascistes. Les sectes religieuses et les mafias prolifèrent.
Il n’y a plus d'Etat, ni de villes. Ils sont remplacés par des « franchulats » et des « banlises ». Un franchulat est un territoire indépendant qui respecte ses propres lois et qui fait partie
d’un réseau franchisé. Il y a par exemple aussi la RPKK, la République Provisoire de Kenai et de Kodak, ou l’Eglise de M. Wayne, le Grand Hong Kong de Mr Lee et la Nouvelle-Sicile de la Mafia.
Les banlises sont des sortes de banlieues malfamées qui échappent en partie au contrôle des franchises.
Les routes sont privatisées et bordée d’enseignes publicitaires annonçant les franchises et leurs carrefours sont des zones dangereuses car source de conflits entre les franchises. Les forces de
police sont remplacées par des entreprises privées comme « MétaFlics Unlimited », « WorldBeat Security » ou les Exécuteurs... qui gèrent des prisons privées telles les « gnoufs ».
En Californie du Sud où se déroule l'intrigue, la Mafia gère un réseau de livraison de pizzas et se montre très soucieuse de la satisfaction de ses clients. Ainsi, ils fabriquent eux-mêmes les
pizzas et s’engagent à les livrer en moins de 30 minutes (sinon, elle sera gratuite). Le livreur devient alors un « dépêcheur » et possède un équipement de pointe de manière à pouvoir
tenir cet engagement. Il possède des armes du dernier cri, des vêtements hyper résistants, un véhicule blindé et des boites à pizza bourrées d’électronique pour contrôler la durée de la
livraison.
La moitié du roman se déroule dans un monde virtuel, appelé Métavers. Dans cet univers entièrement virtuel, une personne qui y est connecté se déplace sous la forme d’un avatar.
Le Métavers prend la forme d’un Boulevard, au long duquel circule un tramway pour permettre aux avatars de se déplacer rapidement vu l’échelle du lieu. Le long du Boulevard se trouvent différents
bâtiments et des reflets des franchises du monde extérieur. L’argent n’y est pas virtuel, chacun peut acheter des biens de consommation et bâtir sa maison... C’est un Second Life avant Second
Life.
Dans le Metavers, Hiro Protagonist est un samouraï imbattable, il est assez balèze aussi dans le monde réel. Dans la réalité, il est livreur de pizza pour la mafia, et à ses heures
perdues, il assure la logistique d’un groupe de musique et fait de la programmation. Dans le Métavers, c’est d’ailleurs l’un des hackers les plus réputés, et pour cause, il a participé à la
rédaction du code du Métavers.
A l’occasion d’une livraison ratée, il rencontre une jeune adolescente, blonde, de 15 ans. Y.T. est une kourrière. Elle assure des livraisons de courrier ultra-rapides grâce à sa planche à
roulette hi-tech en s’accrochant grâce à une sorte d’électro-aimant aux véhicules pour se déplacer plus vite.
Très vite, sous l’influence de Tonton Enzo, Hiro et Y.T. se retrouvent à enquêter sur le « Snow Crash », une drogue qui vient d’être lancée sur le marché. Ils découvrent bien vite
qu’elle agit à la fois dans la Réalité et dans le Métavers, détruisant l’ordinateur et le cerveau de la personne connectée.
Avec l’aide d’une experte en religion et en linguistique, d’un vietnamien vivant dans un camion bourré d’électronique, et d’autres personnages parfois improbables, ils vont se lancer dans une
sorte d’enquête policière doublée d’un récit d’aventure dans l’univers réel et dans le Métavers. Personnellement, j’ai beaucoup aimé les Ratchos, dont le mode de fonctionnement laisse pantois.
Chapeau l’imagination de l’auteur.
La clef de l’énigme, sans en dire trop, repose sur le fonctionnement du langage, et compare la religion à un virus neurolinguistique où les prêtres seraient capables de « hacker » le
cerveau humain. Le cerveau est alors infecté de la même manière que peut l'être un ordinateur.
Et c’est là où Neal Stephenson est costaud, car il réussit à construire une théorie qui parait crédible, et surtout il est évident à le lire qu’il s’est beaucoup documenté sur les mythes
sumériens et la linguistique pour en arriver là.
Le hic, c’est que les explications qui en découlent se révèlent alors très longues à lire et difficile à assimiler pour qui a peu de connaissances dans ce domaine (mais bon, rien n’empêche de
squeezer ces paragraphes, une version simplifiée de la théorie est présentée un peu plus loin dans le livre et là on comprend mieux).
En bref, malgré ces quelques passages théoriques un peu longs, ce roman est excellent à la fois par son univers virtuel qui en fait un roman cyberpunk, par son univers réel qui en fait une
critique de la société américaine (le mode de fonctionnement du résidu de gouvernement des Etats-Unis (les Feds) est du pur délire), par son humour, par son suspens et aussi par l’aspect fouillé
et documenté de la trame de fond de l’enquête.